A l’été 2025, nous sommes parties entre sœurs (re)découvrir Berlin. Récit d’un voyage sous le soleil de la bonne humeur et les nuages d’outre-Rhin.

Jour 4 ⸱ Charlottenburg, Néfertiti et Invaders

Continuant notre voyage dans le temps, nous avisons, en ce quatrième jour, le château de Charlottenburg pour la matinée. Après un bus et un métro — trajet tout à fait compréhensible quand, comme moi, on ne se trompe pas d’adresse… — nous découvrons l’ancien joyau de la couronne prusse. Soyons francs (dans les deux sens du terme) : quand on connaît la démesure de Versailles — et même le charme des plus modestes châteaux occitans, bourguignons ou ligériens — on reste quelque peu circonspect face à la sobriété de ce palais. Mais là encore, cette apparente simplicité cache une longue histoire… Achevé dans les premières années du XVIIIe siècle, le château (Altes Schloss) fut ensuite complété par une nouvelle aile (Neuer Flügel) sous le règne de Frédéric le Grand, accédant au pouvoir en 1740. Réquisitionné par Napoléon lors de ses conquêtes, le site subit les bombardements de la Seconde Guerre mondiale. Les années 1960 virent enfin la reconstruction à l’identique du bâtiment d’origine. On comprend tout de suite mieux l’impression un peu déroutante de carton pâte ! Mais ne nous fions pas à ce premier jugement. L’ancienne comme la nouvelle bâtisses cachent des splendeurs insoupçonnées, comme la chapelle dans la première, et la salle de bal dans la seconde. Une collection de sculptures en marbre complète notre éblouissement. À  l’arrière du château, les jardins à la française (accessibles gratuitement, eux) nous offrent l’occasion de nous dégourdir les jambes, après la visite effectuée à petits pas. Passés la fontaine et le lac, la végétation se fait plus touffue, et abrite, entre autres, un mausolée à l’antique (accès sur présentation d’un billet acheté au château). La reine Louise, son mari Frédéric Guillaume III, l’empereur Guillaume Ier et son épouse Augusta y reposent, incarnés par quatre impressionnants gisants. Le temps suspend son cours dans ce petit monument très solennel, où flotte encore un parfum de vieille monarchie européenne. 

Le château de Charlottenburg.

Retour dans le centre de la capitale pour le reste de la journée. Affamées, nous engloutissons un Döner à la sortie du métro Hackescher Markt. Une fois n’est pas coutume, le pain est délicieux (j’ai mes manies, je sais…) ! Et la garniture, largement à la hauteur. Il paraît que cette adresse est une institution — Mustafa’s Gemüse Kebap — et si tel est vraiment le cas, elle n’a pas volé sa réputation ! L’esprit et le corps rassasiés, nous nous adonnons à plusieurs parties de cartes à la terrasse d’un des cafés alentour. Musée, pas musée ? 20 minutes plus tard, la chaleur (toute relative), nous a rendues indolentes. Ce sera donc le Neues Museum, mais « à l’américaine » (navrée) (à notre décharge, le musée n’allait pas tarder à fermer). Autrement dit, acquérir deux sésames, nos précieux tickets, et filer directement rendre hommage à la Joconde berlinoise : la reine Néfertiti. Vous l’aurez compris, ce splendide buste en calcaire recouvert de stuc n’a pas exactement des racines germaniques… Mais un musée sert autant d’écrin aux chefs-d’œuvre d’antan qu’il souligne les macules de l’histoire. Le Neues Museum recèle en outre une très large collection d’antiquités égyptiennes. Bâti au XIXe siècle par l’architecte classique Friedrich August Stüler, endommagé pendant la Seconde Guerre mondiale puis rénové par le célèbre architecte britannique David Chipperfield à partir de 2003, le Neues Museum témoigne encore de l’égyptomanie qui saisit les puissances coloniales à partir de la Campagne d’Égypte de Bonaparte (1798-1801).

Pour aller plus loin : L’élaboration des décors du Neues Museum de Berlin, une collaboration artistique et savante – Histoire de l’art

Nouvelle partie de cartes (on ne nous arrête plus !) baignée dans une chaude lumière de fin de journée. Adossées à la colonnade bordant le musée, on profite… Le soleil brille de nouveau, les fontaines gazouillent, les gens s’alanguissent sur la pelouse : Berlin respire.

Quelques centaines de mètres plus loin, une enfilade de limousines remontent Hinter dem Gießhaus jusqu’au palais du Kronprinz. Un aimable Allemand à la royale bedaine nous renseigne. Le chancelier Friedrich Merz donne une réception, une « garden party », sourit notre indicateur de toutes ses dents.

Convaincues d’avoir glané une ligne de l’histoire écrite du bout d’un escarpin ou d’une coupe de champagne, nous nous engouffrons de nouveau dans les couloirs du métro.

Nous passons une heure à Humana (Berlin-Friedrichshain), réputée gigantesque friperie bon marché. Rien à redire sur l’un ou l’autre de ces qualificatifs : trois étages de fringues de seconde-main, c’est assez spectaculaire. Quelques mois plus tard, je reconnaîtrai cette façade bétonnée dans la série Unorthodox, petite bombe en quatre épisodes (Anna Winger, 2020).

Maintenant qu’il a pris ses quartiers, le soleil semble bien déterminé à régner. Tant mieux. Il est l’heure de nous mettre en chasse.

Victoire !!

Le premier spot est un échec cuisant. Embarquées, tardivement, par la folie des Invaders de l’artiste français Franck Slama essaimant un peu partout dans le monde, nous partons sur les traces de ses petits monstres mosaïque. C’est sous-estimer l’œuvre du temps… Notre première cible, localisée aux alentours d’Alexanderplatz, a disparu. Dommage. À  la place du rebord de la terrasse noire que l’on distingue ici, se dresse un nouvel immeuble. Mais nous n’avons pas dit notre dernier mot. Nous ne repartirons pas de Berlin sans quelques Invaders dans notre pellicule ! Cap sur Auguststrasse. Tout compte fait, visiter une ville sur le mode jeu de piste, et, par la même occasion, doubler son nombre de pas quotidien, se révèle follement amusant. 

La nuit tombe enfin. Nous échouons, fourbues, à Holzmarkt. Un endroit hors du temps, bercé par les clapotis de la Spree et par l’écume de la bière débordant des verres consignés. Fait de bric et de broc, de tôle et d’enceintes, Holzmarkt encapsule à coup sûr un fragment de l’esprit berlinois tel qu’on se le figure outre-Rhin. Bars poussés comme des champignons hallucinogènes, distributeurs de tattoos animaliers et photomatons, le tiers-lieu coche toutes les cases. Sauf celle du confort de notre appartement monochrome, qu’il nous tarde désormais de retrouver, une demi-pizza pour tout repas.

Fin de soirée les pieds dans l’eau.

Le chiffre de la journée ? 21. Comme l’heure à laquelle nous traversons finalement la Spree pour la dernière fois de la journée, et le nombre de pas au compteur des douze dernières heures — multiplié par mille.


Suggestions d’articles similaires

Souscrire

Saisissez votre adresse e-mail ci-après pour recevoir des mises à jour.