A l’été 2025, nous sommes parties entre sœurs (re)découvrir Berlin. Récit d’un voyage sous le soleil de la bonne humeur et les nuages d’outre-Rhin.
Jour 3 ⸱ Alexanderplatz, East Side Gallery et Berlin souterrain
Il pleut sur notre troisième réveil. Quel dommage qu’un centre commercial soit sur notre chemin pour Alexanderplatz… Nous explorons donc méthodiquement « Alexa » de fond en comble, le temps que la bruine cesse (c’est du moins ce que l’on se raconte). L’endroit ne présente aucun intérêt en soi (les marques sont celles de la fast-fashion traditionnelle), sinon son toit et, peut-être, son histoire. Inauguré en 2007, recouvert d’une drôle de peinture rose, il devait redynamiser le quartier, un peu pâlot depuis la réunification des deux Allemagne. Difficile de juger du résultat sans élément de comparaison, mais il semble que le pari fut payant. Nous débouchons sur la célèbre Alexanderplatz. Autant dire un autre monde : Zara et H&M cèdent la place à de petits stands de frites et de bière, plantés au milieu d’une immense étendue de béton austère.

Nous restons un peu perplexes : il paraîtrait que l’architecture des immeubles bordant la place a été repensée à la fin de la Guerre froide pour atténuer l’effet de froideur et de démesure soviétique. Les façades n’offrent pourtant pas un visage très accueillant… Cela dit, c’est une vraie plongée historique que de déguster nos salades sur le bord de la fontaine Brunnen der Völkerfreundschaft (« Amitié entre les peuples »), créée en 1970 par Walter Womacka. Un shoot de couleurs bienvenu dans ce monde grisâtre ! De l’autre côté du pont, la Fernsehturm s’enracine fermement dans le macadam. Haute de 368 mètres, elle coiffe aisément les autres building européens au poteau. Mais ce n’est évidemment pas au pied d’une tour qu’on profite le mieux de son architecture. Nous reprenons donc notre chemin, l’écrasante silhouette sans ombre dans le dos.
Bave, bulles et cave
10 minutes de vélo plus tard et nous voilà au départ de l’East Side Gallery. Préservées sur un peu plus d’un kilomètre, les ruines du mur ont été investies par des artistes du quatre coins du globe (côté est). La balade nous laisse pensives. Les gens — nous aussi — photographient aujourd’hui avec enthousiasme ce qui fut l’une des pires épreuves de l’après-guerre. À présent, des messages de paix et des peintures vives recouvrent le béton. Certaines ont fait le tour du monde, comme la Trabi bleu clair débaroulant d’à travers le mur. Plus loin, un groupe se masse autour du baiser goulu de Brejnev et Honecker, d’abord photographié par Régis Bossu en 1979, puis repris par Dimitri Vrubel à la chute du mur.
Passant à l’ouest, on change de perspective et on admire des graffs plus spontanés. Puis, tournant le dos au mur, on suit la petite pente jusqu’à la Spree pour se rafraîchir d’une limonade avant la prochaine étape. Au comptoir où nous commandons, comme dans un certain nombre d’autres bars, nous ne trouvons aucun rafraîchissement qui ne soit pas gazeux ! Allergiques aux bulles (et au bonheur), passez votre chemin…
Voici venue l’heure d’une visite dont nous attendons beaucoup : Berlin souterrain. Rendez-vous au nord de la ville, dans les locaux de l’association Berliner Unterwelten, pour un moment hors du temps. Notre guide francophone, Marguerite, nous entraîne à sa suite dans les entrailles de la ville. Nous y découvrons comment les Allemandes et les Allemands, à la soudaine construction du mur en 1961, déployèrent des trésors d’inventivité pour passer d’un côté à l’autre du rideau de fer — plus souvent d’est en ouest, bien entendu. Je n’en dirai pas trop ici, pour laisser la primeur des histoires à l’association, qui s’est engagée dans un travail de mémoire absolument remarquable. Pendant près de deux heures, nous buvons les paroles de notre hôte, frissonnant à l’évocation de destins hors du commun. Il nous est même donné de voir un authentique tunnel creusé aux abords de Bernauer Strasse ! Sans hésiter, il s’agit là d’une des meilleures expériences que nous ayons vécu durant notre séjour.
Promenade digestive
Quoi de mieux pour prolonger le souvenir de cette période qu’une balade le long du tracé du mur ? Songeuses, nous empruntons la Bernauer Strasse, tristement célèbre comme symbole de division entre les deux Berlin. Effondré sur la majorité du parcours, le mur a été symbolisé par de solennels piquets couleur rouille. Les façades donnant sur son tracé arborent de grandes fresques évocatrices, en écho aux petits stands mémoriaux qui se dressent sur notre chemin. L’ambiance est paisible, on croise ça et là des gens qui s’instruisent ou se recueillent en silence.

Nos estomacs nous rappellent à l’ordre aux abords de la Nordbahnhof (Gare du Nord). Un savoureux restaurant japonais — Golden Rice — se chargera de les faire taire, et nous reprenons notre longue promenade vers notre logement. Certes, il y a encore près d’une heure d’effort à fournir mais le trajet est si joli sous le coucher de soleil… Nous passons près de la Nouvelle Synagogue, reconnaissable à son dôme majestueux et emblème du quartier juif de Berlin. Puis, au niveau d’un croisement, nous repérons un monument aux lignes élégantes. C’est le Bode-Museum, qui se dessine à quelques centaines de mètres. Son appel nous permet de découvrir la façade de l’Hôtel des Communications, juste avant de tomber sur la pointe nord de l’île aux Musées. Le cadre est proprement féérique en cette soirée du début de juillet. La Spree nous reflète une splendide heure rose, tandis que des danseurs de Bachata font montre de leurs talents aux bords de l’eau. Captivées, ravies, nous les regardons se déhancher sous les néons colorés de la guinguette. Plus haut, se dresse un théâtre de bois. En continuant vers l’est, nous avons le privilège de voir se découper le Dôme de Berlin sur le ciel mauve. Mais déjà, le temps vire à l’orage, et hâte la fin de cette longue journée !

Merci à mon amie Clélia, éditrice de talent, pour la relecture attentive de cette série berlinoise.

